Voilà. Il fallait bien que cela se termine. Cette parenthèse enchantée. Cet été sportif, plein de rêves de labeur et de promesses... Notre rédacteur en chef Raphaël était parmi ceux qui ont oeuvré, porte de la Chapelle. Il nous raconte.
J’avais donc enfilé mon bleu de travail mi-juin, pour aider, à ma modeste manière, à réaliser cette prouesse : ouvrir grand les Jeux. Aux photographes, en l’occurrence, puisque telle était mon expertise, et mon poste de combat. Après avoir couvert les Jeux d’Athènes en 2004 comme journaliste (et oui, ça rajeunit pas), Beijing en 2008 comme photographe, puis Londres en 2012 - déjà en tant que « Photo Manager » - il semblait pertinent d’apporter mon chouilla d’expérience, et surtout mon enthousiasme à ce pari fou, rêvé par Tony Estanguet, Etienne Thobois (un badiste, rappelons-le, et grand patron des Jeux), et bien d’autres. Dès la première heure, je faisais partie des indécrottables optimistes à toujours essayer de faire taire les grincheux, ceux qui prédisaient un bordel dans les transports, l’insécurité, la hausse des coûts, bref, tout ce qui pourrait ne pas aller bien, alors que se préparait, depuis 7 ans la plus grande fête jamais organisée en France. Un syndrome bien franchouillard. Qu’importe. L’occasion était trop belle pour ne pas faire partie de l’aventure.
J’ai donc rejoint l’équipe de la Chapelle, ma deuxième famille, pour l’été. Avec Louis et Tatiana aux commandes. Ce duo magique qui a fait les belles années des IFB reprenait ce pari un peu fou de faire vivre quatre moments forts des Jeux au milieu de cette ancienne cour des miracles, dans ce Paris Nord jadis abandonné. Le badminton, la gymnastique rythmique (pas Simone Biles, l’autre), puis le parabadminton et le para powerlifting (comme la para haltérophilie). Avec des équipes aiguisées comme des couteaux. Jeunes, avec pour, la plupart, peu d'expérience de la gestion d’évènements d’une telle magnitude, mais déjà ultra compétentes. Surprenantes. Et pleines d’envie. Et les patrons en toute bienveillance, toujours, malgré la fatigue et une pression hors norme.
La magie a fait le reste. L’engouement. Une cérémonie d’ouverture trempée, mais saluée par la planète entière pour son originalité, son audace. Les Parisiens, eux aussi – les quelques uns restés en ile de France - se sont pris aux Jeux et ont commencé à jouir de l’instant présent, devant la ferveur de tous ceux qui débarquaient pour faire la fête, du monde entier. Y compris dans nos équipes, le staff comme les volontaires. Le monde, enthousiaste était là, chez nous. Les stades pleins – la Chapelle compris. On avait jamais vu cela, fois de standiste aux IFB. Nos Bleus n’ont pas déçu, sur la semaine olympique. Ils ont joué à leur niveau. Bien, très bien même, parfois, en faisant à chaque fois vibrer près de 6000 spectateurs et des centaines de milliers derrières leurs petits écrans. La compétition de leur vie. Pour Anne et Margot, Xuefei, Tomi et Christo, Ronan et Lucas – malgré toutes les mésaventures qui les avaient menées jusqu’ici – pour Thom Et Delphine, même si, on avait rêvé tout haut d’une médaille pour eux en particulier. Le talent ne fait pas tout, et pendant les Jeux, les vents sont souvent contraires, les planètes rarement alignées, les lames fines aiguisées, en face. Ils auront tout donné, nos vaillants tricolores. Passés pas loin – même réussi quelques exploits – comme Tomi qui écarte l’un des favoris au titre. Avec, sans doute, pour eux comme pour le public, des images magnifiques plein les souvenirs, une effervescence et un soutien qu’ils n’avaient jamais connus, des Marseillaises à profusion. Du baume au cœur, même s’ils repartent sans médaille à leur cou.
Les Marseillaises officielles, ça sera pour un peu plus tard, dans l’ été. Alors que nous organisions entre temps une belle compétition de gymnastique rythmique – ballons, massues et rubans, immortalisés eux aussi par quelques dizaines de photographes aguerris et talentueux, puis quelques jours de répit – à défaut de repos. Et rebelote pour les « Para ». Avec la magnifique idée d’avoir solidement lié les deux. Les uns ayant défilé à la cérémonie des autres. Des clins d’œil permanent, une envie marquée par les organisateurs de ne faire de ces deux fêtes, d’habitude assez distinctes, qu’une seule et unique. Une seule équipe de France. Et voilà nos 8 Bleus sur les tapis ou parquets, dans cette magnifique salle de la Chapelle, toute de violet vêtue pour le deuxième acte d’une pièce véritablement théâtrale. On retrouve encore une fois, parmi les Volontaires, le tout- badminton : des présidents de clubs, de comités, de ligue. Les investis de toujours sont là. En bleu schtroumpf, en vert Ewok, ou en noir Vador. Volontaires, Staff, Officiels techniques avec moult têtes connues, tout sourire malgré les cernes, à nouveau d’attaque pour ce qui s’avèrera être une révélation sportive incroyable aux yeux d’un grand public novice en para-sport. Une claque magistrale va leur être offerte sur un plateau, par Lucas, Faustine, Charles, David, Thomas, Maud, Milena et Méril. Une fine équipe emmenée par un staff aux petits soins – entraineurs, kinés, officiels, trop heureux de faire enfin découvrir leur quotidien extra-ordinaire.
L’histoire s’écrit. Lucas, encore une fois, en Or. Magistral. Avec Faustine, une autre médaille. De Bronze, cette fois, mais sans doute bien plus savoureuse que l’argent de Tokyo, cette fois-ci savourée avec leurs familles et amis, dans une arène incandescente, lors d’un dernier match victorieux et historique. Et Charles, notre nouvelle star, qui illumine les réseaux sociaux de sa franchise, de son humour et son intelligence, et les courts de son talent, de ses plongeons mémorables. Et cette finale contre son ami Krysten Coombs – un autre ovni malicieux – qu’il gagne avant de s’allonger par terre, sur le drapeau tricolore – une trop belle image (et pas merci pour le Manager des photographes que j’étais, à quelques mètres, avec ces derniers qui sont juste devenus dingos à sauter partout pour immortaliser la scène). Peu importe. Quel délice.
La fête était juste trop belle. Le stade en liesse. « Charlie » scandé par 6000 fans – du jamais vu pour une compétition de parabadminton – quelques heures après les « Lu-Cas, Lu-Cas » repris en fanfare par un fan club inspiré et inspirant. On se prend à rêver, que nos parabadistes, avec leur petit truc en plus, deviennent aussi des vrais héros du quotidien, et avec eux, tous ceux qui sont simplement différents.
J’avoue avoir eu cette pensée, alors que nous attentions l’hymne de Victor De Masne, et la breloque en or à déposer au cou de Charles : est-ce qu’ un jour, dans une cour d’école, une petite fille au pied bot, un petit garçon à la main absente ou sur une chaise roulante seront-ils accueillis par leurs petits camarades avec une accolade bienveillante, et des attentions particulières, l’envie d’en savoir plus, d’être leur ami ? J’ai eu la pensée d’imaginer des chef(fe)s d’entreprise, devant leur télé, là, à exulter eux et elles, aussi en bleu-blanc-rouge, se dire que oui, c’est une évidence, il faudra vite recruter des gens avec un petit truc en plus et leur faire une vraie place dans leurs équipes, pas seulement pour rentrer dans les quotas, mais pour ce qu’ils ont en plus, justement, et le rôle d’ouverture d’esprit qu’ils peuvent apporter aux autres. Qu’ils s’intéressent au handicap invisible, ou pas. Parce que c’est une nécessité. Oui, je sais, ça fait beaucoup de pensées pour juste quelques minutes, et pourtant, là, à côté de mes photographes prêts à dégainer leurs flashs, je me suis dit à ce moment précisément que cela serait là un vrai bel héritage.
Quelques jours encore d'effort et de délice, au rythme de soulevés de poids, incroyables. Le Para powerlifting, et une salle de la Chapelle encore plus comble. Avec des équipes au top, comme toujours. Soudés, comme jamais, pour la dernière ligne droite.
Les Jeux sont faits, tout va bien. On est plus au Casino. Le pari est réussi. Haut la main. Etienne, Tony et les autres peuvent être sacrément fiers. La fête fut magistrale. La France s’est retrouvée derrière des valeurs fondamentales, de partage, d’abnégation, de récompense du travail, d’amitié, de tolérance, de solidarité. On a beau dire, le sport peut déplacer des montagnes, changer des vies. On le sait, nous, à Solibad, c’est un peu notre quotidien. Paris 2024 l’a démontré d’une autre manière, encore, à toute autre échelle, mais cela fait un bien fou.
Les uns et les autres ont déjà retrouvé le chemin des terrains, des gymnases, du travail. Certains à des milliers de kilomètres, les images encore plein la tête. Mes volontaires me manquent, mes collègues de la Chapelle aussi. Une nouvelle famille de gens que, pour la plupart, je n’avais jamais vus et qui sont entrés dans mon cœur par la grande porte. Pas de nostalgie, de « Jostalgie » comme on pourrait dire – pas encore tout du moins - mais la certitude d’avoir participé à quelque chose de simplement unique, grandiose, très fort émotionnellement. Et de la gratitude, beaucoup. D’avoir eu cette chance, de participer à la fête. De voir, aussi, deux cérémonies de clôture – l’une en travaillant, l’autre en profitant, simplement, grâce à de belles âmes et une invitation surprise qui m’a touchée. Des relations se sont crées – à vie, entre tous ces acteurs qui ont participé à ces Jeux Olympiques et Paralympiques. Certains mêmes ont dit vouloir s’investir pour Milan, en 2026 et les Jeux d’hiver, ou déjà Los Angeles en 2028.
D’ici là, à nous de porter ce bel héritage, dans notre quotidien. De démontrer que ce n’était pas seulement une parenthèse, mais un tremplin, pour faire du sport un outil de bonheur. A la (dé)mesure de celui partagé par tous nos athlètes cet été.
Kenavo !
Raphaël
Allez, en bonus, pour ceux qui n’en ont pas assez de lire mes proses farfelues, un petit texte hommage que j'ai dédié à ma formidable équipe de la Chapelle, au rythme des stations de métro de la ligne 12 (elles y sont toutes, sauf 2), alors que les Jeux Olympiques prenaient fin.
Tout commence porte de Versailles. Pas le Versailles des chevaux. Là ou y’a l’UAC. Et la queue. Mais pas de cheval on vous a dit. La queue tout court. Ou longue, souvent. Pas de centre équestre ou hippique – un centre épique : un mini défilé rien que pour les troupes affairées mais éminemment sympathiques. La photo d’identité qui va bien. Difficile de pas sourire, avec tout ce qui se trame, là, dans quelques jours. L’uniforme est bien beau. Et même confort, en plus. Pas de 45 fillette - ni rien au-dessus de cette pointure (pourtant, des pointures il y en a qui ont œuvré à cette ambitieuses aventure). Va pour tes propres godasses moussaillon : tu feras des Jeux conforts comme un coq en patte, sans coq en jambe. Ou en pied, pour le coup. On est loin des conventions.
Les Volontaires attendent, tranquillement. Retour dans le métro. Un sandwich pour faire passer le temps. Jambon beurre. Pasteurisé. Et hop, nous voici à la salle. De retour parmi les nouveaux siens. Notre nouvelle famille, casque et joli gilet jaune, ou rouge. Sans beugler dans un entonnoir, sur un rond-point. L’ECC est en randonnions chaque matin. EDE et P24, la main dans la main. Falguière et paix. Le doigt sur le clavier, prêt à dégainer. Les édéistes et éP-istes. Mathilde, Alice, Théophane, Laure-Ahn, Claire, Antoine, Benjamin. Pas un coup de sabre dans l’eau. Aiguisés et efficaces. Les fruits et légumes sont par nasses. Quelques croissants viennent égayer les premières matinées. Bienvenue.
La famille s’agrandit. Les « FA » s’embompoinent. Les PTT sont parés. « transmet ». Pendant ce temps-là, Anne Hidalgo ne peut encore se baigner dans la Seine : Notre dame déchante. A la chapelle, on s’affaire. On prie pour que tout soit prêt dans les temps. Il reste quelques heures avant l’ouverture. Louis et Tatiana, tel un duo bien rodé se parent pour le rodéo. Ils prennent les rennes. Nicolas et Marion coordonnent avec maestria. Franck et ses troupes ont remplacé la petite boulangère au coin du métro, ravie d’avoir vu déboulé au quotidien des casques de chantier avec des grands sourires en dessous. Les « Philippe » balancent du jus un peu partout. Gaelle et son équipe Orange balance du câble à n’en plus pouvoir, toujours disponibles et adorables. Régis, régisseur, forcément, les yeux qui brillent de gentillesse orchestre tout cela. La TEC assure, Jamie en grand manitou, Raymond, Ivo, Daniel et les autres en renfort.
A la LOG, on joue de la palette tout en générosité et en humour. Céline, Luc et Quentin sont aux aguets, H24. Carole accrédite avec son accent chantant. Clarisse et sa fine équipe sont au taquet pour transporter tout ce joli monde, en priant pour que les embarquées de quai soient minimes. Les sponsors et les « Legends » sont dans la place. Les bulles colorées aussi – Rebecca, Thiphaine et Léo y veillent. Cyril et Benjamin vendent les derniers billets – il n’en reste plus guère, tant l’appétence est vive. La sécurité est assurée – Christophe et Guillaume sont sur le qui-vive. Angelica gère comme elle peut avec abnégation et bonne humeur le casse-tête légendaire que représente la signalétique. Josef et ses équipes protocolaires sont sur leur 31 prêts à recevoir le gratin olympique. Audrey gère les hospitalités avec talent. Julian, à l’humeur égale et joviale, Alix et leurs centaines de volontaires EVS vont donner du bonheur à des dizaines de milliers de visiteurs sur 17 jours de compétition, en chanson et en sourire. Le tout piloté par les fantastiques Julie et Nathan, chefs d’orchestre de nos incroyables Volontaires.
On se fait des plaisirs gustatifs. La salade de saumon ou de chèvres. Babylone n’est pas loin, on tient le bon bout. Cassandra, Lila et leur équipe jouent des chiffons, ruent du bac et des bennes, font valser les éponges pour que tout rutile. Jimmy, Manu, Juliette et les autres à la VNI jouent des coudes et du cutter, le look prend place avec Dana et sa team. C’est déjà joli. Le sol fait rideau. Les points par équipe deviennent tri quotidien. Les députés sont dans la salle, les manageurs, tout de bleu vêtu, forment une nouvelle assemblée nationale. Sans dissolution. Jusque-là, tout concorde. On est prêts. Pas de cri de guerre mais notre Madeleine de Proust à nous, c’est le sport et sa magie qui s’apprête à frapper, d’un coup de baguette magique. Le badminton a pris ses marques. Matthieu, Pauline, Lisa et les autres sont aux manettes. Le volant, collerette rose, devient saint. L’hazard fait bien les choses – un Français fait vaciller les foules – Tomi créé l’exploit. On évoque la trinité, le miracle. Le voici sorti de poule. Mais pas d’Or. Les troupes, à la chapelle, continuent l’effort. On mange sain. Gorges et estomacs sont en mode végé. Au pire, un Kebab à Ménilmontant ou à Pigalle. Vent debout, les équipes sont toujours au taquet, malgré les petites nuits, les cernes qui se creusent. On abbesse pas la garde. La marque ? Call 1. Court, voire long. On se croirait dans un métrage. Long aussi. Jim et Jules. J’offre un petit bol d’air à mes amis avec quelques photos du jour, glanées par ci-par là. On se serre les coudes. Les réveils très matinaux commencent à piquer. Mais l’euphorie générale et l’adrénaline nous poussent, nous galvanisent.
On tient le bon bout. La joie fédère. On se retrouve de temps à autres pour échanger dans le « venue Dining », toujours accueillis avec de merveilleux sourires. On échange les anecdotes du jour. L’un qui a encore perdu sa clé et doit aller chercher une radio pour forcer la serrure, les autres qui chopent le covid. C’est un joyeux bordel, parfois, mais tout roule, finalement. La gym a pris le pas, le tempo. Les plumes ont fait place aux ballons et rubans. Holly, Olivia, Liza et les autres lancent leur show magnifique. Max dort. Moi, pas beaucoup.
Déjà les derniers jours. Cette première aventure qui se termine, sonnera aussi le glas de nouvelles amitiés qui se sont nouées. Fortes. A vie. Entre les aventuriers en Bleu, avec les Volontaires en vert. Pour une quinzaine de vie en rose. Ballet de couleurs et d’émotion. Et une partie des équipes qui va nous quitter, déjà. Porte de la Chapelle. Tout le monde descend. Ou presque. Pour un temps, en tous cas. On fait la fête en musique sur le parvis, devant ces anneaux olympiques, qui nous marqueront à vie. L’étape est belle. La suite arrive, avec, aussi, son lot d’amour, de joies et de peines. En mode para. Tonnerre. Avant le terminus, qui viendra bien trop vite.
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